Les 6 et 7 octobre derniers, c’est à Arcachon que les meilleurs spécialistes du cancer dans l’évolution se sont réunis pour un workshop organisé par Bertrand Daignan-Fornier (directeur de recherche à l’IBGC UMR 5095 CNRS), Mathieu Giraudeau (chargé de recherche au LIENSs UMR 7266 CNRS) et Thomas Pradeu (directeur de recherche à ImmunoConcept UMR 5164 CNRS). Ils collaborent également sur des travaux sur le cancer et l’évolution. Interview.
Quel était l’objectif de ce workshop « Cancer et évolution » ?
Bertrand Daignan-Fornier : L’objectif de ce workshop était d’essayer de comprendre, à travers un certain nombre d’exemples, les mécanismes de résistance au cancer qui peuvent apparaitre chez certaines espèces mais pas nécessairement dans l’ensemble de l’arbre du vivant. Les exemples présentés étaient très variés puisque cela allait de la drosophile à l’hydre en passant par la baleine, ou l’éléphant.
Ces exemples avaient pour objectif de nous donner des informations pertinentes sur ce qu’est le cancer.
Mathieu Giraudeau : En parallèle, nous avons assisté à une série de conférences. J’ai notamment pu présenter mes travaux de recherche sur les incidences de cancer chez les mammifères herbivores et carnivores.
Qui étaient les participants à ce workshop ?
Thomas Pradeu : Ce workshop rassemblait les meilleurs spécialistes au monde sur la question du cancer et de l’évolution.
Ces journées scientifiques étaient très interdisciplinaires et ont réuni des biologistes, des médecins, des philosophes, des mathématiciens, des bio-informaticiens, des chimistes…
Parmi les intervenants, il y avait bien sûr Mathieu Giraudeau, mais également David Bilder (University of Berkeley, USA), Thomas Bosch (Christian-Albrechts-Universität zu Kiel, Germany), James DeGregori (Department of Biochemistry and Molecular Genetics, University of Colorado Anschutz Medical Campus, USA), Vera Gorbunova (Rochester, USA), Crisanto Gutierez (Centro de Biologia Molecular Severo Ochoa, CSIC-UAM, Madrid, Spain), Hanna Kokko (Zürich, Switzerland), Carlo Maley (Arizona State University, USA), Elizabeth Murchison (Cambridge University, United Kingdom), Samir Okasha (Department of Philosophy, University of Bristol, United Kingdom), Joshua D. Schiffman (MD, Division of Pediatric Hematology/Oncology, Department of Pediatrics and Huntsman Cancer Institute, University of Utah, Salt Lake City, Utah, USA; Peel (“Elephant”)).
Bertrand Daignan-Fornier : Le nombre réduit de participants – nous avions limité le workshop à une trentaine d’invités– a favorisé les interactions et les échanges. Cela a permis de développer des contacts privilégiés avec les meilleurs spécialistes du domaine.
Mathieu Giraudeau : C’est une belle prouesse d’avoir réussi à rassembler tous ces grands noms dans la même salle. Beaucoup n’avaient jamais eu l’occasion de participer à un workshop avec toute la communauté réunie !
Bertrand Daignan-Fornier : Nos étudiants ont également eu le privilège de compter parmi les invités. C’était une grande opportunité pour eux !
Thomas Pradeu : Cela a été bénéfique pour eux et réciproquement. En effet, les chercheurs séniors ont beaucoup apprécié les échanges avec ces jeunes scientifiques.
Ce workshop était-il en lien avec le projet que vous développez ensemble ?
Bertrand Daignan-Fornier : Il y a évidemment un lien avec notre projet de recherche commun qui a pour objectif de tirer parti de la diversité biologique issue de l’évolution et des processus en œuvre dans l’évolution pour mieux comprendre le cancer. La particularité de ce projet est de faire cela avec un angle de vue différent de ce qui se fait habituellement dans les laboratoires de recherche en cancérologie.
Mathieu Giraudeau : La partie que je souhaite développer dans ce projet est centrée sur la thématique de ce workshop. Ces journées scientifiques m’ont dont permis de développer des collaborations avec des chercheurs basés en Utah et de renforcer une collaboration avec un laboratoire en Arizona.
Thomas Pradeu : En tant que philosophe, une partie de mon travail consiste à prendre du recul par rapport à ce qui est fait habituellement par les chercheurs en oncologie mais aussi d’un point de vue définitionnel : « Qu’est-ce que le cancer ? Est-ce que la définition va être variable selon les espèces ? » Cela fait partie de notre projet à tous les trois de travailler sur les définitions du cancer et à notre grande surprise, c’est un des sujets qui a le plus alimenté les discussions lors de ce workshop.
Bertrand Daignan-Fornier : Pour beaucoup de participants, c’est la dimension philosophique du workshop qui les a intrigués et leur a donné envie de venir.
Quelle suite allez-vous donner à ce workshop ?
Thomas Pradeu : Outre les collaborations interindividuelles comme celle de Mathieu, nous avons trois projets de publications suite à ce workshop. Nous allons bien sûr retracer ce qui s’est dit lors de ces deux journées scientifiques. Nous souhaiterions également publier les dix leçons à connaitre sur les approches évolutionnaires et comparatives du cancer.
Enfin, nous ambitionnons de publier un troisième article sur les définitions du cancer et les impacts de celles-ci afin de mieux approcher le cancer, le comprendre et identifier les mécanismes qui en sont responsables ou les mécanismes de résistance qui existent déjà chez les organismes.
Par ailleurs, un prochain workshop sur les approches conceptuelles du cancer sera organisé l’année prochaine, ainsi qu’un workshop sur la multicellularité, en association avec Bertrand.
Avec la Fondation Gordon and Betty Moore, je prévois également d’organiser un événement sur « Cancer, Immunité et microbiote ». Il y aura forcément un lien avec le workshop « Cancer et évolution » puisque ces histoires de microbiote et cancer posent une série de questions évolutionnaires.
Mathieu Giraudeau : Un workshop sera également organisé de mon côté d’ici l’été prochain sur le cancer dans la faune sauvage. Ce workshop est relié à un International Research Network (IRN) financé par le CNRS pour 5 ans à partir de 2023. Il va rassembler tous les scientifiques travaillant sur des modèles sauvages sur le cancer en France et en Europe. Il réunit 35 chercheurs, 23 Universités et 10 pays. Comme nous l’avons fait lors de ce workshop à Arcachon, l’idée est de rassembler dans une même pièce les spécialistes du domaine. Deux des membres de cet IRN étaient d’ailleurs présents lors du workshop « Cancer et évolution ».