Mathieu Giraudeau, chercheur CNRS au laboratoire LIENSs de La Rochelle et Orsolya Vincze, post-doctorante de ce même laboratoire viennent de publier un article dans le prestigieux journal « Nature ».
Les deux rochelais, qui portent ce projet, ont travaillé avec un consortium international composé de biologistes évolutifs basés au Danemark, en Angleterre, en Australie et en France (Paris, Lyon et Montpellier).
Entamés en 2018, ces travaux de recherche très originaux, s’intéressent au paradoxe de Peto.
Le Dr Mathieu Giraudeau nous explique en quoi cela consiste.
« En théorie, sachant que le processus cancéreux est initié et ensuite progresse via l’accumulation de mutations et que si chaque division cellulaire a la même probabilité de générer des mutations, alors les espèces de grandes tailles et généralement plus longévives, qui nécessitent plus de divisions cellulaires devraient développer plus de cancer que les espèces de petites tailles à durées de vie plus courtes.. »
Le paradoxe de Peto est le constat fait par Richard Peto que, paradoxalement, les espèces de plus grande taille n’ont pas plus de cancers que les espèces de petite taille.
« Ce paradoxe avait été testé de façon très biaisée dans le passé car très peu de données existent sur les prévalences de cancer chez les espèces animales. Nous les connaissons réellement seulement chez l’homme et quelques espèces modèles de laboratoire » explique Mathieu Giraudeau.
Orsolya Vincze (première auteur) et Mathieu Giraudeau, accompagnés d’un consortium international, ont développé une forte collaboration avec Species360 (association américaine créée aux États-Unis (au Zoo du Minnesota) en 1973 pour recueillir des informations sur les animaux sauvages maintenus en captivité) afin de tester ce paradoxe. A travers cette collaboration, les chercheurs ont eu accès aux résultats d’autopsie pour des centaines de milliers d’individus de presque 200 espèces de mammifères.
« Nous avons focalisé notre étude sur les mammifères pour l’instant. Nous avons testé ce paradoxe et nos résultats le confirment : effectivement il n’y a pas plus de cancers chez les espèces de grande taille que chez les espèces de petite taille » souligne le scientifique.
La démonstration de ce paradoxe est une avancée majeure dans la lutte contre le cancer car elle met en évidence l’évolution de mécanismes de résistance face à cette maladie chez certaines espèces. « La prochaine étape est maintenant d’essayer de comprendre quels sont les secrets des espèces de grande taille pour lutter contre le cancer et voir si potentiellement, cela peut constituer des pistes à étudier pour développer de potentielles thérapies sur l’humain » ajoute le chercheur du LIENSs.
Ce prestigieux papier publie pour la première fois des données de prévalence en cancer pourdes centaines d’espèces animales et montre que le cancer est omniprésent, au moins chez les mammifères, espèces étudiées dans ces travaux. Ces recherches montrent ainsi de manière inquiétante que le cancer ne concerne pas que les humains ou les souris : « c’est un problème de tout le règne animal » résume Mathieu Giraudeau, « cela soulève des problématiques de conservation car la plupart des environnements et habitats naturels sont de plus en plus pollués, notamment avec des polluants cancérigènes. Nous mettons donc en évidence que toutes ces espèces sont sujettes au cancer et cela peut avoir des répercutions en terme de conservation des espèces et de la biodiversité. »
Le dernier résultat majeur observé par les chercheurs est que, parmi les mammifères, ceux qui développent le plus de cancers sont les carnivores. Les scientifiques se sont donc demandés quelles étaient les causes à l’origine de ce résultat : « il y a une variété de régimes alimentaires parmi les carnivores. Nous avons donc essayé de voir, si au sein des carnivores, il y avait des régimes alimentaires qui stimulaient la progression du cancer. Nous avons découvert que c’était les mammifères mangeant des mammifères qui développent le plus de cancers. »
Le groupe de chercheurs pose alors plusieurs hypothèses pour expliquer cela. La première c’est que les carnivores ont un régime riche en graisses et pauvre en fibres, ce qui constitue un facteur de risque connu de cancer. « La viande est un type de nourriture connu pour stimuler les processus cancéreux chez l’homme, ce processus pourrait être similaire chez l’animal » éclairci Mathieu Giraudeau. Ensuite, les carnivores qui mangent des mammifères sont souvent des prédateurs hyperactifs. Cette baisse d’activité, une fois en zoo, entraine des modifications majeures du métabolisme de ces espèces et l’on peut imaginer que cela pourrait avoir des répercussions sur les défenses anticancéreuses de ces individus. Enfin, et surtout, les carnivores consomment de la viande crue, ce qui augmente la probabilité de transfert de pathogènes oncogènes, notamment de virus.
« Dans ces travaux, nous montrons que la distribution phylogénétique de la mortalité par cancer est associée au régime alimentaire, les mammifères carnivores (en particulier ceux qui consomment des mammifères) étant confrontés à une plus forte mortalité liée au cancer. De plus, nous fournissons des preuves du paradoxe de Peto en montrant que le risque de mortalité par cancer est largement indépendant de la masse corporelle et de l’espérance de vie adulte chez les espèces. Ces résultats soulignent le rôle clé de l’évolution dans le façonnement de la résistance au cancer et constituent une avancée majeure dans la recherche de défenses naturelles contre le cancer » conclu le chercheur.